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Mieux comprendre la rémunération de Bobby Kotick

Hebdostrie, saison 2, épisode 15

Peut-être avez-vous déjà entendu parler de la rémunération de Robert « Bobby » Kotick, le patron d’Activision Blizzard, et des sommes parfois folles que ça représente. Le record de 2020 s’élevait à presque 155 millions de dollars, pour finalement retomber drastiquement en 2021 à 827 000 $ et carrément 179 000 $ en 2022. Le salaire, en particulier, a été réduit au minimum légal possible, soit 62 500 $, selon la demande de Kotick. « Nous pensons que cette décision montre à la fois aux employés et aux actionnaires extérieurs que le leader de notre entreprise donne la priorité [aux conditions de travail] et les traite avec un maximum de sérieux », précisent les documents officiels de l’entreprise. Soit. On va essayer d’y voir plus clair pour vraiment mesurer combien gagne le patron du plus grand éditeur américain de jeux vidéo.

Un petit préambule est nécessaire : dans cet article, on se limite uniquement à ce qu’a touché Robert Kotick en tant que PDG d’Activision Blizzard. C’est-à-dire, uniquement depuis la fusion entre Activision et Vivendi Games, ce qui correspond aux quinze dernières années.

Différence entre cash et actions

C’est le sujet récurrent pour relativiser les salaires des grands patrons : le fait que, justement, il ne s’agit que partiellement de salaires. Ce qui est parfaitement vrai. La rémunération totale de Robert Kotick, en cumulant donc les 15 années d’existence d’Activision Blizzard, s’élève à la somme gargantuesque de 425,8 millions de dollars, soit une moyenne de 28,4 millions par an, ou 2,37 millions par mois. Mais la plus grosse partie de ces revenus correspond à des stock awards (300 millions, soit 70 % du total) ou des option awards (43 millions, soit 10 % du total).

Les option awards, ou stock-option, ou encore, en bon français validé par les institutions, les options sur titre, sont une variante fréquente pour récompenser les hauts-placés dans les entreprises. Le principe, c’est de donner la possibilité d’acheter, à un tarif moindre que le cours en vigueur, des actions de l’entreprise. Comme son nom l’indique, c’est une option, certainement pas une obligation, offrant une possibilité de s’enrichir qui n’est pas totalement garantie : après tout, le cours de cette action peut très bien s’effondrer.

Il est néanmoins parfaitement possible de la revendre aussitôt après l’avoir acheté, ce qui pour le coup garanti de toucher la somme qui apparaît dans les bilans financiers (somme correspondant à la plus-value entre le prix fixé et le cours en vigueur). Encore faut-il avoir les fonds nécessaires, puisque ça implique de toute manière une dépense au préalable. Les stock awards, c’est plus simple encore : c’est tout simplement une rémunération sous forme d’actions, sans que le bénéficiaire n’ait à débourser quoi que ce soit pour les obtenir.

Bref, tout ça se manifeste sous formes d’actions, un actif qui, là encore, est régulièrement relativisé, comme lorsqu’on évalue la fortune des personnes les plus riches au monde. Car après tout, cette fortune est théorique, puisqu’elle repose sur des actions dont la valeur peut très bien s’écrouler d’un jour à l’autre. Si l’on retire cette forme de rémunération dans l’argent récolté par Kotick, les sommes sont toujours indécentes, mais la différence est flagrante : on arrive à un total, sur 15 ans, de 83 millions de dollars, soit une moyenne de 5,5 millions par an, ou 460 000 $ par mois.

Le gain des actions

D’accord, mais on ne peut pas non plus totalement ignorer ces actions offertes à Kotick, d’une valeur de 343 millions de dollars sur quinze ans. On peut, en revanche, trouver une manière plus concrète de les calculer : en fouinant l’historique des transactions boursières effectuées par Kotick, ce qui est rendu public pour chaque patron d’entreprise cotée en bourse (du moins pour les transactions qui concernent l’entreprise qu’il dirige).

Et là, on arrive à une méthode totalement alternative pour mesurer l’argent gagné par Kotick grâce à Activision Blizzard. De 2008 à 2022, Kotick a effectué plus d’une centaine de transactions d’actions de son entreprise, impliquant une multitude d’acquisitions à des tarifs bien inférieurs au cours du marché, et même, souvent, nuls ; une multitude de ventes, et même des dons vers d’autres entités qui lui sont liés, comme son fils. Un dernier point qu’on ne va même pas prendre en compte.

Il est ainsi arrivé, à plusieurs reprises, que Kotick gagne plus de 100 millions de dollars sur une seule année grâce à ses ventes d’actions. En tout et pour tout, sur quinze ans, c’est un total de 628,5 millions de dollars qu’a accumulé Bobby en bourse, uniquement en ce qui concerne Activision Blizzard. Soit, finalement, quasiment le double de ce qui est annoncé pour sa rémunération en stock awards et option awards.

Et ce n’est pas tout

On peut encore ajouter à ce total l’argent qu’il a touché sous forme de dividendes grâce à ces actions. Ce qu’on estime, sur quinze ans, à environ 15,3 millions de dollars (mais aucun ne sera versé en 2023, du fait de l’opération de rachat par Microsoft qui gèle le versement des dividendes). Tout cumulé et sans prendre en compte les actifs dont il est titulaire, on arrive à un gain de 727 millions de dollars en quinze ans, soit une moyenne de 48,5 millions de dollars par an, un peu plus de 4 millions de dollars par mois.

Ce qu’il faut saisir également, c’est que tout ça reste finalement une sous-évaluation de l’argent engrangé par Kotick. On l’a rapidement évoqué : les cas de structures parallèles à Kotick sont mis de côté, par exemple l’histoire d’ASAC, la holding établie par Kotick et son vieil ami Brian Kelly (Chairman du conseil d’administration d’Activision Blizzard), pour réussir à reprendre le contrôle de l’entreprise des mains de Vivendi en 2013. Dans l’opération, Kotick ne s’était pas seulement débarrassé des actionnaires français, mais avait aussi récupéré un bon pactole bonus grâce à ça : au moins 183 millions de dollars.

En outre, l’histoire est loin d’être terminée. Début avril, Kotick possédait encore 4,3 millions d’actions Activision Blizzard. Si le rachat de l’entreprise par Microsoft se concrétise, alors le géant américain payerait un peu plus de 408 millions de dollars à Kotick pour acquérir ce qu’il possède. Ce qui lui permettrait de dépasser aisément le seuil du milliard de dollars cash obtenu en un peu plus de quinze ans avec Activision Blizzard.

Pendant ce temps, les employés

Depuis 2017, Activision Blizzard a l’obligation, selon la législation américaine, d’indiquer la rémunération (tous bonus compris) médiane de ses employés, et de fait le ratio de la rémunération de son PDG par rapport à ses employés. En 2022, ce ratio est à un niveau plus qu’exemplaire de 1,67 : c’est-à-dire que le patron d’Activision Blizzard touche seulement 1,67 fois plus que ce que le salarié médian d’Activision Blizzard touche. Ceci en ignorant bien entendu les revenus en dividendes (2 millions de dollars en 2022) et le contexte historique : il y a deux ans, ce ratio était de 1 560.

Ceci en ignorant également les revenus des autres exécutifs de l’entreprise, qui continuent de toucher des sommes astronomiques. Pour 2022, la rémunération de Grant Dixon, directeur juridique d’Activision Blizzard, s’élève à 5,5 millions de dollars. Celle de Daniel Alegre, directeur des opérations, est de 7,3 millions, celle de Brian Bulatao, directeur administratif, est de 11,2 millions, et celle de Armin Zerza, directeur financier, est de 12,1 millions. Le revenu médian des employés, quant à lui, s’élève à 106 974 $ en 2022, année marquée par une forte inflation. Un revenu médian qui a pourtant baissé de 9 % par rapport à 2021.

La réunion annuelle des actionnaires d’Activision Blizzard aura lieu le 21 juin prochain et servira notamment à valider les positions des exécutifs de l’entreprise. Comme l’année dernière, le groupe est contraint de soumettre au vote des propositions émanant d’actionnaires minoritaires. Notamment une proposition de James McRitchie et Myra K. Young, propriétaires de 50 actions Activision Blizzard, et activistes engagés de longue date dans la régulation des dirigeants d’entreprises par les actionnaires, qui demandent à mieux encadrer les salaires des dirigeants d’Activision Blizzard. Une autre proposition émane de la Fédération américaine du travail, le plus gros regroupement syndical des États-Unis, qui demande à ce que le conseil d’administration adopte et détaille publiquement un engagement à respecter les droits humains internationaux et la liberté de se syndiquer. Enfin, le fonds de pension publique de l’état de New York propose la mise en place d’un rapport annuel qui décrirait et mesurerait l’efficacité de l’entreprise dans sa lutte contre les abus, harcèlements et discriminations qui ont lieux contre des employés.

Le conseil d’administration d’Activision Blizzard s’est déclaré « unanimement » opposé à l’égard de chacune de ces trois propositions, et recommande à ses actionnaires (dont les principaux sont les fonds d’investissements Vanguard, BlackRock et Berkshire Hathaway, ce dernier étant géré par le milliardaire Warren Buffett, que Robert Kotick considère comme l’un de ses mentors) de voter contre. La première proposition est ainsi décrite comme « inutile et confuse pour les actionnaires », la deuxième est jugée erronée et porterait sur « un problème qui n’existe pas » (Activision Blizzard a pourtant enchaîné depuis plusieurs mois les plaintes pour entrave à la liberté de se syndiquer), et la troisième est considérée comme n’étant pas le meilleur intérêt pour l’entreprise ou ses actionnaires.

 

 

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Pour en savoir plus sur les résultats financiers historiques d’Activision Blizzard, la Fiche Technique de l’entreprise récapitule tout.
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